Ce qui m’intéresse dans cette conférence de d. boyd ce n’est pas le fait d’apporter une réponse, c’est, au contraire, de dire qu’il est possible de parler de quelque chose sans avoir forcément de réponses, posture à mon avis nécessaire lorsque l’on se confronte à une panique morale, posture dont on peut faire l’histoire (sans non plus tout confondre, cf. l’histoire de la ” parole comme production de soi” Illouz sur le self-help dans “les sentiments du capitalisme”, etc. Ainsi que, face à la formulation de sujets paniques, tout les mouvements “pro-sex” des 30 dernières années aux USA, en Europe et ailleurs…). Pour le coup, il n’est pas question de la régler, cette panique morale, pas au moment de la conférence, ni de donner espoir, malgré certaines tournures “vaillantes” dans l’expression de db., en montrant du doigt un objectif clarissime ; il s’agit juste de parler de ce qu’il se passe. En fait là où on pourrait croire que tu lui reproches de tenir un discours sans queue ni tête, il me semble qu’on peut à la place s’interroger sur ce qu’elle ne rend pas forcément explicite, et sur l’intérêt qu’il peut y avoir à, pour une fois, ne pas trancher tout de suite… sur la nature du problème.
Ce qui me semble important, c’est que d. boyd prend le temps d’en parler non pas à des enfants/ados, ni à leurs parents, ni à des éducateurs (comme il arrive que je le fasse moi-même, comme ce doit être plus souvent le cas pour toi encore), mais à des gens qui sont des industriels et des businessmen. C’est-à-dire qu’elle pose les questions, décrit une situation à des acteurs qui sont systématiquement évacué par les gens soucieux d’une intervention thérapeutique ou pédagogique ; la technique n’est pas bonne, pas mauvaise, mais pas neutre pour autant, pour reprendre Kranzberg. C’est une posture très complexe : on sait que db. travaille chez Microsoft research, on sait que certains problèmes ne trouvent solutions que lorsqu’on a montré qu’il y avait de l’argent à gagner à trouver des solutions, etc. Dans tous les cas, cette posture est importante à considérer. Mais ce qui reste important à mes yeux, c’est que cette conférence ne s’adresse pas à des scientifique (contrairement au rapport que tu cites, qui est tout à fait intéressant, mais qui traite du traitement des statistiques par les médias, et s’adresse à des collègues chercheurs bien plus qu’aux médias qu’il désigne ou à tout autre type d’acteurs).
Le fait de prendre en compte les acteurs industriels, me semble important dans la mesure où db. replace ainsi les enjeux culturels de fond du problème dont le sexting n’est qu’un petit bout de la face émergée de l’iceberg : comment les affects et les sexualités sont-ils produits à raison des disponibilités technologiques du moment, et comment cultures techniques et cultures sexuelles sont inextricablement liées. C’est-à-dire qu’en déployant cette question de la pornographie infantile comme critère juridique et morale, des mésusages de ce terme par un bon nombre d’acteurs, et en disant qu’il n’y a pas de solution db. fait peut-être un geste d’autant plus intéressant théoriquement : elle laisse la possibilité d’entendre que trouver une solution c’est transformer autant les cultures techniques que les cultures sexuelles. Elle fait alors acte théorique en ne choisissant pas de régler un problème soit selon des critères sexuels (accompagnement psy, par ex.), soit selon des critères techniques (filtrage technique, par ex.), et tente de faire tenir son discours sur le fil qui distingue les deux (auprès de personnes qui sont a priori habituées à répondre depuis un seul des deux ensembles de ressources culturelles), et qui est, AMHA, une donnée essentielle des cultures eurpoéano-US-nipponnes depuis le 19ème s, et pose l’enjeu de la représentation pornographique comme foyer central de production (cf. pornotopies de Preciado, etc.), et comme chose connue d’abord par les personnes qui n’en font, a priori, pas usage. Toute une économie des savoirs et des gestes sexuels ET techniques (ce qui m’occupe dans ce blog, indeed).
Enfin, sur un autre plan, et là je vais justifier mon geste de traduction plutôt que la conférence de db. elle-même : j’ai décidé de traduire ce texte lorsque je me suis rendu compte, au courant 2011, que si je parlais de “sexting” lors de conférences ou d’atelier avec des parents ou des éducateurs, personnes ne savait ce que c’était, alors que les questions que l’on me posait, et qui étaient le plus souvent le fruit d’inquiétudes et d’angoisses profondes face à la sexualité des ados comme face à leurs usages des technologies, relevaient, pour leur part, tout à fait de cette question du sexting. Je me suis dit qu’il fallait peut-être donner des éléments pour faire apparaître ces angoisses directement comme une panique morale, et me suis rendu compte un peu naïvement que j’avais accès moi-même à bien des textes qui le faisaient, textes que les gens avec lesquels je discutais ne pouvaient jamais lire, n’étant pas anglophones ou peu disposés à aborder la littérature techno-centrique. Le texte de db. donne une suite d’exemples, qui se trouvent être relativement caricaturaux, ou idéal-typiques devrais-je dire 
, mais assez proches de ce que j’ai pu entendre par moi-même. J’aurais pu choisir de traduire un texte de l’une des études australiennes ( celle de Albury, Crawford, Evers, Byron ou bien la réflexion de Angelides) mais c’est celui de boyd qui me semblait finalement, par la bande, approcher le mieux, à l’époque, cette question de l’articulation entre cultures techniques et cultures sexuelles, plutôt que celle du traitement d’un problème principalement lié à la jeunesse.
Dans tous les cas, on devrait s’attendre dans les mois qui viennent à voir apparître les résultats publiés d’une bonne quantité d’études, qui permettront probablement de reconsidérer un peu tout ça.
fp.
